Les millions pleuvent pour la réussite dans le réseau collégial

Au début de septembre, le gouvernement du Québec annonçait l’investissement de 450 millions de dollars visant à hausser le taux de réussite en enseignement supérieur. À peu près au même moment, la Fédération des cégeps annonçait les conclusions de son « Chantier et plan d’action sur la réussite en enseignement supérieur », un chantier piloté par Carole Lavoie, ancienne directrice générale du Cégep de Sainte-Foy.

Un taux de réussite qui stagne

Alors que les taux de diplomation stagnent depuis quelques années, comme en témoigne le graphique plus bas, la Fédération des cégeps dit vouloir atteindre un taux global de diplomation de 68% en 2023.

 

Pour y parvenir, on fait notamment de la recherche et de l’information, du perfectionnement pédagogique, de la maîtrise du français, de la formation générale, de l’évaluation des apprentissages et de la formation continue, des priorités. Au total, c’est 100 millions par année qui y seront consacrés.

Quatre axes de répartition des investissements

La Fédération des cégeps projette de répartir ces sommes en fonction de quatre axes. Dans le premier (axe 1) on cherche à améliorer l’accès aux études supérieures, notamment par une campagne de valorisation des études supérieures, la promotion du programme de prêts et bourses et l’embauche de personnel en orientation et autres professionnel·le·s.

L’axe 2, celui des transitions, inclut une nouvelle compétence en sciences humaines, un programme de mentorat, une bonification des services aux étudiant·e·s, un guide et une application numérique pour les futur·e·s étudiant·e·s, de la pédagogie de 1re session, le développement de la RAC et des passerelles DEP-DEC.

En ce qui concerne l’axe de la réussite à proprement parler (l’axe 3), on envisage de soutenir les initiatives de perfectionnement professionnel des profs, de soutenir l’embauche de professionnel·le·s et d’enseignant·e·s, de soutenir les initiatives locales et nationales favorisant la persévérance et la réussite, de soutenir les collèges dans la diversification des voies d’accès aux services offerts à la communauté étudiante et de cerner les enjeux liés à la réussite de cours dits « écueils ». À noter que l’axe 3 s’accompagne d’une bonne dose de reddition de compte annuelle pour le Collège.

Le dernier axe, celui de la recherche (axe 4), propose la mise en place d’un guichet d’accès aux données de recherche, la réalisation d’un tableau synoptique avec des objectifs, cibles et indicateurs en matière de réussite, le développement d’un algorithme prédictif de la réussite, de même que des embauches locales pour évaluer les pratiques en place, recueillir de nouvelles données et effectuer le transfert de connaissances.

Un chantier sur la réussite qui a des avantages… et plusieurs inconvénients

Dans les faits, ce chantier sur la réussite mijote depuis longtemps dans les cuisines de la Fédération des cégeps et risque d’avoir des conséquences sur le réseau collégial pendant plusieurs années. Si les ressources injectées et le fait qu’une approche collaborative soit prônée apparaissent comme d’indéniables qualités inhérentes à cette démarche, il reste que la pression pédagogique qui en émane risque de peser lourdement sur les professeur·e·s. Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur les objectifs chiffrés liés à une réussite « quantitative » des étudiant·e·s. Enfin, la formation générale se retrouve une fois de plus sur la sellette, alors qu’on persiste à étiqueter certains de ses cours comme des « écueils » et qu’on remet en question leur fonctionnement.

Où sont les profs?

Vouloir la réussite et la diplomation de davantage d’étudiant·e·s apparaît certainement comme une noble cause que tous et toutes souhaitent certainement défendre, votre syndicat y compris. Toutefois, nous pouvons mettre en doute la voie qu’emprunte la Fédération pour y parvenir.

En effet, il est assez surprenant de constater que, dans toutes ces priorités et ces axes, les profs semblent constamment relégué·e·s au second plan. Et quand elles et ils apparaissent, c’est pour être « mieux formé·e·s ». À croire que l’équipe de Carole Lavoie est convaincue qu’encore en 2021, les enseignant·e·s du collégial se limitent à un enseignement magistral pendant 3 heures et à d’autres méthodes rétrogrades.

Par ailleurs, il est tout de même un peu troublant que l’approche universelle continue d’être présentée comme une panacée. Alors qu’on demande aux enseignant·e·s de mettre en place des pratiques inclusives, on assiste en même temps à la multiplication des catégories d’étudiant·e·s en difficulté et on s’attend à ce que les membres du corps enseignant puissent répondre à l’ensemble des besoins individuels, rendant de ce fait les interventions beaucoup plus complexes.

Nous observons en outre une pression à adopter une certaine pédagogie (des « pratiques à impact élevé », dont nous cherchons encore des exemples), ce qui fait craindre pour notre autonomie professionnelle. C’est le cas également en ce qui concerne les activités de perfectionnement auxquelles devront participer les profs. Quant à la question des « cours écueils », nous nous demandons si l’objectif n’est pas, en fin de compte, de les vider le plus possible de leur substance, afin de provoquer une amélioration des taux de réussite, mais, du même coup, un nivellement par le bas!

L’école a ses limites

La vérité, c’est que les profs diversifient déjà leurs pratiques. Qu’elles et ils sont hautement préoccupé·e·s par la réussite de leurs étudiant·e·s. Mais l’école a ses limites. Quand un prof de français a, par exemple, 42 élèves dans sa classe, dont des élèves allophones qui ont des difficultés importantes à l’oral tout autant qu’à l’écrit en plus d’un grand nombre d’étudiant·e·s présentant différentes difficultés d’apprentissage, difficile de s’attendre à ce que tout le monde réussisse sans ressources supplémentaires individuelles. Et quand on constate que le taux d’échec des garçons est beaucoup plus élevé que celui des filles, mais qu’on ne se penche pas sur les explications sociologiques de cette situation, il ne reste plus qu’à espérer que la source de ce problème social disparaisse magiquement et que nous atteignions nos objectifs de diplomation tout simplement grâce à des « pratiques à impact élevé ».

Où iront les ressources?

En terminant, soulignons que l’arrivée de telles sommes dans nos collèges pour la réussite – dès cette année! – pose la question des dépenses. Où iront ces sous? À l’heure actuelle, la Direction du Cégep de Sainte-Foy n’a pas fourni à vos membres du bureau syndical ses prévisions budgétaires à ce chapitre. Il s’agira donc d’une priorité pour le SPPCSF que de les obtenir rapidement et de veiller à ce que ces montants servent directement à la réussite des élèves et au soutien des professeur·e·s qui sont, faut-il le rappeler, en première ligne de cette réussite.

 

Revue de presse

La présentation du mémoire de la Fédération des cégeps dans le cadre de la consultation autour du projet de loi 96 a fait couler beaucoup d’encre dans les médias cette semaine. Patrick Bellerose rapporte dans Le Journal de Québec que la Fédération souhaite une réflexion en profondeur à propos de l’épreuve uniforme de français et de la manière dont elle s’inscrit dans le parcours collégial. Le projet de loi 96 conduit la Fédération à craindre que les étudiant·e·s francophones et allophones fréquentant les cégeps anglophones soient pénalisé·e·s par le fait de devoir réussir deux épreuves uniformes (l’une en français, l’autre en anglais), révèle Hugo Pilon-Larose dans La Presse.

Jocelyne Richer souligne, toujours dans La Presse, que la Fédération préfère laisser les étudiant·e·s choisir librement leur langue d’enseignement, le taux d’admissions aux cégeps anglophones étant plafonné. L’article de Jean-Benoît Nadeau, dans Le Devoir, résume les obligations des cégeps incluses dans le projet de loi 96 pour protéger la langue.

Enfin, Nancy Caouette, à Radio-Canada, aborde le manque d’espace pour accueillir une population étudiante croissante dans les cégeps de la métropole.