Retour sur une année… mouvementée!
Lors de mon élection à la présidence en mai 2022, j’affirmais bien connaître les dossiers et savoir dans quoi je m’embarquais. Je le pense encore et je suis extrêmement fière du bilan que nous pouvons faire de l’année 2022-2023, mais disons que même si elle s’annonçait chargée, nous ne nous doutions pas qu’elle testerait à ce point notre capacité d’adaptation.
Il est évident que le départ de nos principales interlocutrices à la direction des ressources humaines et à la direction des études et l’arrivée de leurs intérims (sans parler du départ d’une autre coordonnatrice avec qui le syndicat doit travailler presque quotidiennement) ont occasionné plusieurs réorganisations et retards. Malgré toute la bonne volonté des personnes qui prennent le relais et font leur possible pour reprendre les choses en main, cela devient inévitablement frustrant de constater un ralentissement des discussions dans les dossiers qui étaient pour nous des priorités. Les discussions entourant les conditions de travail des membres qui font de la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) à la formation continue ont connu ce sort en étant repoussées de semaine en semaine. Le projet de revoir le processus de révision de notes qui est à notre plan de travail depuis quelques années déjà et que l’on devait entamer cet hiver devra aussi attendre à l’année prochaine.
En ce qui concerne la disponibilité, il faut avouer que nous sommes arrivés à entrer dans le vif du sujet au cours de la session d’hiver. Les discussions se poursuivront vraisemblablement à l’automne et il est actuellement impossible de connaître l’issue à laquelle nous arriverons, mais la direction nous a quand même déjà affirmé qu’il ne s’agirait pas d’une entente signée. C’est donc un dossier à suivre.
Que dire de la liberté académique? Nous avions des attentes que nous croyions à la hauteur du chantier qui avait été promis. Une grosse machine s’est mise en place, pilotée par la Commission des études qui a donné ses mandats au groupe de travail constitué de représentant.e.s de tous les corps d’emploi, d’étudiant.e.s et de gestionnaires. Une démarche qui devait aboutir en fin d’année à un Énoncé de principes sur la liberté académique en contexte d’enseignement. Toute l’année, le groupe de travail (auquel j’ai siégé à titre de représentante du syndicat des professeur.e.s) s’est approprié le concept. Or, quand le groupe de travail a voulu inclure la définition de l’UNESCO de la liberté académique, la machine a déraillé. Dans toutes les définitions, dont celle de l’UNESCO, le concept de liberté académique reconnaît la liberté d’enseignement, de recherche et d’expression. Ces éléments sont d’ailleurs très clairement explicités dans notre convention collective à l’annexe VIII-10.
Annexe VIII-10 (p. 354 de la convention collective)
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La direction s’est pour sa part rabattue sur le mandat octroyé par la Commission des études qui ne concernait que le contexte d’enseignement. Pas question de discuter de liberté d’expression. Aux yeux de la direction, la liberté d’expression est un enjeu de relations de travail alors que la liberté d’enseignement est un enjeu pédagogique. Pourtant, les trois éléments de la liberté académique doivent être reconnus et défendus, c’est dans le contrat de travail signé par les parties négociantes! Et d’ailleurs, ce n’est pas parce que la direction reconnaît et protège la liberté d’enseignement qu’elle ne pourrait pas convoquer et imposer des mesures disciplinaires à un membre du corps enseignant qui aurait outrepassé sa liberté académique. Il en va de même pour la liberté d’expression.
L’enjeu était, et est toujours, au plan symbolique. Ça nous a semblé le point de départ d’une discussion sur la liberté académique. Comment pouvons-nous en effet envisager de discuter de balises ou de gestion des litiges si notre interlocuteur n’est même pas prêt à admettre publiquement sa responsabilité de reconnaître et protéger la liberté académique entière de son corps professoral?
Quoi qu’il en soit, le groupe de travail est dissous. Il n’y aura pas d’énoncé de principes et c’est extrêmement décevant. La Commission des études a adopté tout récemment une proposition permettant une voie de sortie, afin que les travaux effectués au sein du groupe de travail n’aient pas été vains et que certaines recommandations puissent être mises en œuvre. Le président du groupe de travail et professeur de philosophie, Mathieu Robitaille, travaillera l’automne prochain à cette voie de sortie : un « énoncé sur la liberté de traiter des sujets sensibles », énoncé qui ne sera pas un « énoncé de principes » et dans lequel le concept de liberté académique sera évacué, comme si cela suffisait à dénouer l’impasse.
Évidemment, nous voyons d’un bon œil le fait qu’on parvienne à une voie de sortie pour que les professeur.e.s du Cégep de Ste-Foy se sentent soutenu.e.s et appuyé.e.s dans leur enseignement, et le président du groupe de travail a toute ma confiance, mais je demeure inquiète. Inquiète qu’on abandonne la lutte pour la liberté d’expression, inquiète qu’on ne puisse plus revenir en arrière même si plusieurs interprètent ce qui se passe actuellement comme une première étape, inquiète qu’on s’applaudisse encore une fois de notre excellent travail alors que l’année se conclut sur un compromis, s’il en est un. Nous aurions pu envoyer un message tellement plus fort, plus complet en tant qu’institution. À propos de la liberté académique, je termine donc mon année à la fois déçue et fière d’avoir défendu les intérêts des professeur.e.s avec toute l’ardeur dont je pouvais faire preuve (certains diraient peut-être même avec acharnement).
Sur le plan des négociations, l’année qui se conclut me laisse une fois de plus avec un sentiment ambivalent. Je suis extrêmement emballée par les relations humaines qui se sont tissées et par la solidarité que l’on construit pierre après pierre, et ce, au niveau local avec les syndicats des professionnel.le.s, du personnel de soutien et des éducatrices spécialisées et des accompagnatrices, mais aussi avec nos collègues du corps enseignant au sein de l’Alliance des syndicats des professeures et professeurs de Cégep (ASPPC) formée de notre fédération (FEC-CSQ) et de la FNEEQ-CSN. Même si de telles alliances peuvent comporter leurs lots de défis, notre rapport de force grandit de semaine en semaine devant un Comité patronal de négociation des collèges (CPNC) au sein duquel il y a d’ailleurs eu un jeu de chaises musicales cet hiver. Plus largement, le Front commun grâce auquel nous parlons d’une seule voix à ce gouvernement qui s’entête dans une vision économique des services publics et de l’enseignement supérieur nous donne l’énergie pour poursuivre. Si la tendance se maintient, les comités de négociations sectorielles et intersectorielles n’auront qu’à bien se tenir l’année prochaine puisque des maillons s’ajoutent à la chaine et se solidifient au fil des rencontres et des actions concertées.
Toutefois, force est de constater que les négociations piétinent. Depuis le dépôt des cahiers de demandes syndicaux et patronaux en octobre et en décembre, il n’y a eu aucune véritable bonification des offres, aucune solution proposée pour répondre aux besoins d’alourdissement de la tâche, de précarité, de conciliation travail-famille-vie personnelle, de manque de temps et de ressources pour plus de collégialité et de collaboration, etc. On nous demande au contraire de faire davantage d’enseignement à distance, d’élargir le cadre horaire pour donner des cours de soirs et de fins de semaine, de revoir l’accès aux congés et aux invalidités. Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous avons une vision diamétralement opposée de la manière de répondre au manque de main-d’œuvre. Les conditions de travail dans l’ensemble des services publics sont de moins en moins attractives et les demandes patronales ne feraient qu’empirer la situation. Ce n’est pas seulement aux tables de négociation que ça va se jouer. C’est quand on se mobilise que le vent finit par tourner et pour contrer ce discours gouvernemental, il va falloir marquer le coup à l’automne, un grand coup. Nous avons commencé à vous parler de grève dans les dernières semaines et vous avez pu voir que les demandes de médiation déposées récemment nous permettront d’acquérir légalement notre droit de grève assez tôt au mois d’août. On espère toujours ne pas avoir à utiliser notre droit de grève, mais l’état actuel des négociations, le contexte social, politique et économique nous laisse entrevoir une forte mobilisation du Front commun. Laissons-nous inspirer par la mobilisation des professeur.e.s en Ontario, de la fonction publique canadienne ou, plus près de nous, des professeur.e.s à l’Université Laval. Il faut tenir bon face à ce gouvernement. Repensons aux grandes luttes syndicales et aux mouvements sociaux que certains contextes politiques, sociaux et économiques ont fait naître. Il y a 50 ans, nous formions le premier Front commun dans les services publics. Nous sommes actuellement le plus grand Front commun en négociation ralliant 420 000 travailleuses et travailleurs.
Vous nous remerciez souvent de garder le fort, du travail de représentation que l’on fait en votre nom, mais la mobilisation, on ne pourra pas la faire seul.e.s. Il faudra être à nos côtés.
Pour l’heure, reposons-nous, déposons-nous. L’année, je le sais, a été mouvementée pour vous aussi. Il nous fera grand bien à tous et à toutes de faire une pause, de sortir du système, de la routine, de la « réunionite ». Mon discours semble sans doute pessimiste ou décourageant pour plusieurs, mais face à la fatigue, voire à l’épuisement, naît de l’indignation, de la colère qui est effectivement néfaste si l’on en reste là. Mon travail syndical ne m’a pas (encore) rendue cynique parce que j’ai la profonde conviction que de cette colère peut aussi naître une volonté de changer les choses et ça, ça devient un moteur qui procure le sentiment d’avoir un certain contrôle sur son destin.
[1] Pour Approches pédagogiques « Orientation qui guide l’organisation de la situation pédagogique pour atteindre une ou plusieurs finalités. » (Dictionnaire actuel de l’éducation, Renald Legendre, 3e édition)
CG FEC-CSQ, 1er et 2 juin 2023
Le 1er et le 2 juin avait lieu le conseil général de la FEC-CSQ. Parmi les nombreux dossiers abordés, voici quelques faits saillants :
Liberté académique
Dans ce dossier, la FEC revendique le respect de la liberté académique au niveau collégial. Plusieurs actions sont entreprises, notamment la réalisation d’un sondage de nos membres pour comparer les enjeux de la liberté académique au cégep à ceux mis en lumière dans le milieu universitaire par le rapport Cloutier. Le résultat de ce sondage sera diffusé en août. À partir des résultats, la FEC se positionnera sur la nécessité de produire un énoncé de principes.
FAD
Les conclusions du sondage effectué auprès des membres devraient être présentées à la rentrée.
Loi 14
La loi 14 bouleversera profondément la rentrée à l’automne 2023 dans les cégeps anglophones. La prochaine cohorte qui ne fait pas partie des ayants droit devra passer l’EUL. Trois cours de français sont offerts pour mieux préparer les étudiants (deux proviennent de la conversion de cours de français langue seconde, un troisième remplace un cours à option). Trois cours disciplinaires seront donnés en français (obligatoire). Des mesures pour privilégier l’inscription des ayants droit dans les cégeps anglophones seront établies.
CCF
Le CCF change de nom! Il s’appelle désormais le Comité d’action féministe de la FEC (CAFFEC). On cherche toujours des candidates pour s’engager : n’hésitez pas à nous faire signe si le dossier vous intéresse. Sylvie St-Amant est élue à la présidence de la FFQ.
Finances
À la suite des travaux du comité sur la péréquation, les deux propositions suivantes ont été adoptées à l’unanimité :
Proposition 1 : Modifier la politique financière de la FEC-CSQ de façon à ce que la Fédération assume chaque année les dépenses liées à l’instance fédérative la plus coûteuse (incluant le Congrès) afin de réduire les coûts pour les syndicats locaux et de diminuer les variations d’écart du montant total de la péréquation.
Proposition 2 : Modifier la politique financière de la FEC-CSQ de manière à ce que la personne élue à la trésorerie présente chaque année, au CG de l’automne portant sur la présentation des états financiers, une analyse des dépenses de péréquation, et ce, préalablement à l’émission des factures ou des remboursements aux syndicats. La personne élue à la trésorerie pourra alors recommander ou non au CG que la FEC injecte une somme supplémentaire dans la péréquation en fonction de cette analyse et des résultats financiers de l’année précédente, et ce, particulièrement pour les années de négociation.
L’adoption de ces propositions permettra de diminuer la pression liée à la péréquation pour le SPPCSF. Si l’on prend pour exemple l’année 2021-2022, cela représenterait localement une économie de 10 000 $.
La retraite et les négos
La proposition gouvernementale consiste à augmenter à 57 ans l’âge minimum de la retraite sans pénalité après 35 ans de services. Pour chaque année de service, le pourcentage de rente passera de 2% à 1,4%, ce qui causera un appauvrissement.
Cours défis
Les membres ont adopté une position forte visant à réaffirmer la pertinence de la formation générale et, en particulier, du premier cours de littérature (à la suite du positionnement de la Fédération des cégeps et de la Fédération étudiante collégiale du Québec). La FEC, notamment, continue de dénoncer l’école à trois vitesses, de revendiquer du financement supplémentaire pour les étudiant.e.s nécessitant du soutien, de demander une meilleure accessibilité au cours de renforcement en français et de s’opposer à la formation à la carte ainsi qu’à l’inclusion, dans les devis, de l’enseignement systématique de la grammaire.
Revue de presse
Daphnée Dion-Viens, dans La Presse, rappelle qu’en formulant son appel désespéré à l’entraide aux profs retraités, le ministre Drainville oublie l’essentiel : l’amélioration des conditions de travail des professeurs.
Dans La Presse, Marie-Eve Fournier trace trois portraits qui tentent de cerner les changements qui minent les conditions d’enseignement en classe. Elle dresse le portrait des parents, de la société et des enfants.
Dans le journal Métro, Français Cattapan revient sur notre manifestation festive du 29 mai. Rappelons que cette manifestation dénonçait la fermeture de la partie gouvernementale ainsi que sa vision de l’éducation collégiale, assujettie aux besoins en main-d’œuvre.
Notre collègue Steeve Baker fait l’objet d’un beau reportage à Première heure. Allez voir son exposition à l’Espace Parenthèses.
Sur les dérapages possibles de l’IA, vous pouvez écouter le podcast The Godfather of A.I. Has Some Regrets, mettant en scène Geoffrey Hinton. Pour un résumé écrit, vous pouvez consulter le journal The Guardian. Les ressources sont malheureusement en anglais.
Le journal Les 2 Rives fait le point sur le climat de travail au cégep de Sorel-Tracy, à la suite du dévoilement du diagnostic.
Rubrique éditoriale
PVRTT, désertion et mobilisation
Je fais partie des chiffres inexistants, ceux compilant les cas de professeurs abonnés au PVRTT pour éviter une situation médicale d’épuisement. Je fais partie des profs travaillant à temps partiel pour pouvoir travailler 35 heures par semaine, pas plus.
Depuis la pandémie, on nous répète de ne pas nous en demander trop. On oublie que le problème n’est ni notre lâcher-prise ni notre perfectionnisme. Le problème est systémique.
Lâcher prise ne rend pas plus facile la fragilité sur le plan financier de nos collègues précaires, condamnés à la course aux remplacements. Lâcher prise ne diminue pas le nombre excessif d’étudiants dont je dois assurer le suivi. Lâcher prise ne diminue pas le nombre d’heures passées à corriger les travaux, dont la correction est alourdie par la multiplication des lacunes. Lâcher prise ne donne pas miraculeusement à mes étudiants les acquis qui leur font défaut. Lâcher prise ne diminue pas le nombre de réunions auxquelles je dois assister.
L’enseignement, c’est ce pour quoi je suis prof. Ce ne sont pas les heures passées en classe ni leur préparation, le problème. Alors, où dois-je lâcher prise?
- Dans les réunions? Mais, alors les 173 heures, l’équité entre collègues…
- Dans l’aide aux étudiants suivis aux SA, l’aide aux étudiants ayant un retard dans les acquis? Mais alors, tout le discours sur la réussite, sur l’importance du lien de confiance avec le prof pour la persévérance scolaire… Puis-je vraiment fermer ma porte aux étudiants toujours plus nombreux à avoir besoin d’explications, de soutien?
- Dans la correction? Puis-je vraiment cesser d’évaluer certaines compétences? Cesser d’annoter mes copies?
Le véritable problème auquel nous faisons face, ce n’est pas nous-mêmes, c’est le système. C’est le nombre trop élevé d’étudiants dans les classes (et par conséquent le nombre trop élevé d’étudiants en manque d’autonomie dans l’exercice de leur « métier d’étudiant », le nombre trop élevé d’étudiants ne possédant pas les acquis nécessaires à la formation collégiale), c’est le nombre trop élevé de comités et de redditions de compte, mais c’est surtout le fait que nous n’avons pas plus de ressources en ETC pour gérer tout ça, alors que nous demeurerons toujours l’intervenant de première ligne.
Nous sommes tous épuisés : où trouver l’énergie de se mobiliser? Mais dans trois ou cinq ans, à la lumière de ce que nous réserve le gouvernement, nous serons plus épuisés encore, et la fois suivante, davantage. C’est maintenant que nous devons nous mobiliser.
Nos problèmes ne se règleront pas par un meilleur lâcher-prise. Ils se règleront par de meilleures conventions collectives. Sinon, nous serons de plus en plus nombreux à déserter. Alors mobilisons-nous.