Le chêne, le roseau et la collégialité
On connaît tous cette fable de La Fontaine. Le chêne est un bois noble de grande valeur. Il s’élance droit vers le ciel, victorieux, affichant avec constance toujours le même profil, sans jamais changer. Il verdit avec effusion chaque printemps et domine les champs lorsqu’il a la chance de s’y épanouir seul. Nul ne peut contester sa réussite.
En revanche, le roseau, lui, est insignifiant. Il ploie sans cesse, changeant constamment de forme selon les vents. Il ne produit rien d’utile ou si peu. Et pourtant, il est essentiel aux écosystèmes et, de ses frêles tiges, on a tiré les premières flûtes. Il rend manifeste le mouvement invisible du vent. Il est toutefois humble et demeure près du sol.
On veut tous être un chêne et croire que sa noblesse est de loin préférable à la manière d’exister du roseau, pas vrai?
La fable nous apprend cependant qu’il ne faut pas confondre rigueur et rigidité. À trop vouloir imposer une seule façon de faire, le tissu social finit par fendre — comme le bois du chêne sous l’effet de la tempête.
Depuis la pandémie, les bouleversements de l’IA, les compressions budgétaires, une grève épuisante, le contexte inflationniste, les instabilités politiques croissantes au sud de la frontière, on ne peut pas dire que la décennie 2020 nous a laissé beaucoup de répit. La fatigue s’accumule, la tension monte comme la tempête, et plusieurs ont pour réflexe d’adopter la rigueur du chêne pour garantir la pérennité du peu d’ordre qu’il nous reste. Mais, je me répète, il ne faudrait pas confondre rigueur et rigidité.
Alors même que le contexte politique américain nous apprend douloureusement le visage de l’intransigeance, faisons place à plus de souplesse dans nos relations avec nos collègues. Répondons à notre anxiété par l’ouverture à l’autre. Sachons écouter les points de vue différents de nos collègues, reconnaître leur expertise et leur professionnalisme, leur désir d’atteindre, parfois par des voies qui ne sont pas les nôtres, des objectifs semblables. Acceptons que la réussite ne passe pas nécessairement par une méthode unique, ayons confiance en notre communauté, sachons répondre aux avis différents avec courtoisie et respect. Évitons les polarisations inutiles et méfions-nous des postures intransigeantes qui n’autorisent qu’une seule solution aux défis à relever.
Les vents se lèvent, le chêne craque. J’en appelle à faire de la communauté professorale du cégep de Sainte-Foy un espace de résistance solidaire où toutes les voix sont entendues et où tous les chemins différents du nôtre pour conduire à la réussite ne sont pas perçus comme une crainte, mais comme une force. J’en appelle à la liberté créative et pédagogique, à la reconnaissance de l’expertise d’autrui, à l’innovation, à l’échange, à une quête du bien commun par une multitude de voies. Formons une communauté de roseaux, où la force et la richesse sont issues de la souplesse, du nombre et de la diversité.
Quand toutes les fissures de la société qui est la nôtre deviennent manifestes, j’en appelle à ce que le cégep se réapproprie et défende à tout prix ce mot trop souvent malmené : la collégialité.
Geneviève Boudreau, membre du bureau syndical