Soutenir la formation des infirmières au Bénin

Le soutien à la formation de professionnelles de la santé, telles que les infirmières, peut s’effectuer par l’entremise d’une aide directe, sous forme d’un déplacement de ressources humaines sur place. Mais elle peut également s’effectuer par le biais d’une aide indirecte incluant le fait de fournir à un établissement d’enseignement des volumes de référence dans le domaine de formation. Pour ma part, j’ai décidé d’utiliser la dernière stratégie pour soutenir la formation des infirmières au Bénin.

Cette forme d’aide s’est présentée d’elle-même, lorsque le département des Soins infirmiers du Cégep de Sainte-Foy a considéré l’offre d’une maison d’édition concurrente quant à certains volumes de référence. Plus précisément, ce changement concerne une série de six volumes utilisés pour la dispensation des cours de soins infirmiers en médecine et en chirurgie. Cette situation a donc rendu plusieurs exemplaires, d’une compagnie concurrente, inutiles, mais tout de même encore valables. Combiné à cette situation, il y a également eu une nouvelle édition de certains volumes dans cette même discipline. Conscient de cette situation, j’ai commencé à regarder les divers scénarios quant à l’envoi de ces volumes dans un pays en voie d’émergence. Cette démarche a également suscité l’intérêt et la participation du programme de Soins préhospitaliers d’urgence. Au moment de l’expédition, j’avais réussi à réunir près de 900 volumes qui ont été emballés et expédiés vers le Bénin.

Préalablement à la récolte de ces volumes, j’ai établi une discussion avec un ami infirmier et professeur en Sciences infirmières au Bénin. Cette approche avait pour but d’entrevoir son ouverture quant à la réception de ces volumes pour son lieu de formation. C’est avec beaucoup de plaisir et d’enthousiasme qu’il accepta de recevoir les volumes, mais aussi de m’accompagner dans cette démarche. Après plusieurs heures de discussion, j’ai fini par comprendre que son empressement avait deux raisons distinctes. La première concernait une dimension de disponibilité du produit et la seconde d’accessibilité. En effet, il est très difficile de trouver ce genre d’ouvrage au Bénin puisqu’aucun libraire ne garde en stock ce type d’ouvrage spécialisé. La notion d’accessibilité relève, quant à elle, du coût d’acquisition de ces volumes. En effet, il faut débourser environ de 300 $ canadiens pour faire l’acquisition de l’ensemble de la collection (six volumes de médecine et de chirurgie), ce qui représente une somme très substantielle pour une étudiante en soins infirmiers au Canada et encore davantage au Bénin. À ce moment, je débordais d’enthousiasme à l’idée de soutenir la formation des infirmières de ce pays. Toutefois, en acceptant de livrer ces volumes au Bénin, j’ignorais à quel point il serait difficile de parvenir à rendre à terme ce projet. Ainsi, avant de vous présenter ce cheminement, j’aimerais vous exposer quelques faits sur le Bénin, mais aussi sur la formation des infirmières dans ce pays.

Le Bénin est un pays de l’Afrique de l’Ouest situé entre le Togo, le Nigéria et le Golfe de Guinée. Il comptait en 2013 plus de 10 millions d’habitants et il est actuellement l’un des 25 pays les plus pauvres au monde. D’après les données de la Banque Mondiale, le salaire brut mensuel se situe à 63 $ tandis que, selon cette même banque, le salaire mensuel d’un Canadien est de 4 248 $. Il est ainsi compréhensible qu’une série de six volumes en Soins infirmiers devienne inaccessible, et cela même pour un travailleur béninois. Le Bénin ne compte qu’une seule maison de formation en Sciences infirmières, soit l’Institut National Médico-Sanitaire de Cotonou (INMeS). Cet institut forme l’ensemble des infirmières du Bénin. Il s’agit d’un institut qui est affilié avec la seule université au Bénin, celle d’Abomey Calavi. Vous êtes maintenant à même de saisir l’importance de notre implication dans le soutien de la formation des infirmières au Bénin.

Comme j’ai pu en faire l’expérience, l’envoi de volumes dans un pays en émergence demande, de la part de la personne qui le désire, une bonne dose de détermination. Au tout début et de façon très naïve, je pensais que cette démarche s’effectuerait aussi facilement que l’envoi d’une lettre à la poste. Mais la réalité fut tout autre. Premièrement, j’ai effectué des démarches auprès de plusieurs affréteurs maritimes afin d’obtenir un prix pour l’envoi de ces volumes. Dans l’ensemble, ils estimaient que les coûts associés à ce projet seraient grosso modo de plus de 2000 $. C’est à partir de cette estimation et avec le désir d’obtenir un soutien financier que j’ai entrepris d’effectuer des démarches auprès d’une kyrielle d’organismes publics et parapublics. À ma grande surprise, mais également à ma grande déception, j’ai constaté que cette opération fut d’une part fastidieuse et d’autre part vaine. L’ensemble des organismes contactés avait la même réponse : « il s’agit d’une action vraiment intéressante, valable et porteuse pour l’éducation, mais il s’agit d’un projet qui ne cadre pas dans les visées de notre organisation ». Seuls le Syndicat des professeurs du Cégep de Sainte-Foy ainsi que l’administration du même collège ont accepté de soutenir en partie le projet. Résigné, j’ai tout de même décidé de soutenir personnellement le reste du financement. Cependant, les embûches n’étaient pas terminées puisque l’envoi de tout colis à l’étranger nécessite une déclaration douanière. Selon les règlements d’importation et de droits d’entrer au Bénin, il est impossible d’effectuer un envoi sans préalablement déclarer une valeur à la marchandise. J’ai donc attesté une valeur arbitraire à la marchandise, tout en indiquant qu’il s’agissait de volumes usagés destinés uniquement et exclusivement à la formation des infirmières au Bénin. Le tout semblait conforme et la livraison pouvait suivre son cours. Finalement, c’est le 18 août dernier que les volumes sont arrivés à destination. Sans surprise, les autorités du Bénin ont réclamé une somme additionnelle pour couvrir les frais de douane.

Aujourd’hui, je suis à même de comprendre la position de certaines compagnies d’édition qui optent pour l’envoi de volumes invendus à des organismes de récupération de papier plutôt que d’effectuer l’envoi dans des pays en émergence. Cette expérience m’a également conscientisé sur le fait qu’une participation active au développement et au soutien de la formation en soins infirmiers n’est pas simple et qu’elle est jonchée d’embûches. Si vous souhaitez effectuer une action similaire, je vous encourage à solliciter préalablement l’appui financier d’un mécène dans cette démarche puisque la recherche de financement a postériori pourrait se révéler infructueuse.

Bruno Pilote
Enseignant au département de soins infirmiers