Lettre d’une professeure épuisée

La session achève.

Nous avons jonglé entre les cours, les corrections, les réunions des différents comités, l’encadrement des élèves aux besoins de plus en plus nombreux et diversifiés, les actualisations de programme, les situations particulières devenues de plus en plus fréquentes et complexes, les remplacements effectués à l’interne, en surcharge, parce que la banque de candidats est vide malgré les appels de candidatures et les entrevues menées par les comités de sélection. Les piles des examens finaux s’aligneront bientôt sagement, carrées, sur nos bureaux, à l’issue d’une session qui n’avait rien de sagement ordonné.

Nous regardons dernière nous, ébahis, mais aussi préoccupés par l’ampleur du travail accompli. Si nous pouvons être fiers d’avoir tenu le fort (combien de fois l’avons-nous fait, depuis le début de la pandémie?), une telle charge de travail n’a rien de normal. Elle fait ressortir le meilleur de soi, mais cet engagement (auprès de nos collègues, de nos élèves) est aussi une fragilité, parce que ce rythme ne peut être maintenu bien longtemps. Bien qu’on nous dise d’en faire moins, on nous demande de comptabiliser nos heures, comme si le travail de la semaine ne dépassait pas déjà les 32,5 heures. Comme si vraiment nous étions en déficit de 173 heures dans une année. Dans un contexte où nous sommes continuellement, chroniquement surchargés, cette reddition de compte est non seulement irritante, mais blessante.

Notre charge de travail doit être rééquilibrée.

Tranquillement, stylo en main, nous entamerons les longues corrections qui, pour plusieurs, s’étireront au-delà des festivités de Noël (nous avons jusqu’au 29 décembre, à l’aube du Nouvel An, pour remettre nos notes). Tranquillement, nous entamerons aussi officiellement les négociations de notre prochaine convention collective (gageons que le dépôt patronal, à l’aube des Fêtes, ne nous réserve pas de cadeaux).

La charge de travail doit changer. Il en va de notre capacité à susciter de nouvelles vocations, à former et à conserver de nouveaux profs. Il en va de la capacité de nos institutions à offrir aux élèves les conditions optimales pour favoriser leur réussite. Il en va de notre capacité à mener une carrière fructueuse, longue et épanouissante. Il en va de notre capacité à ne pas laisser s’éteindre en nous toute étincelle.

Rien n’est plus vide qu’un ciel de Noël sans étoiles.

Considérer la pénurie de main-d’œuvre, la précarité éreintante et interminable (pas de cours à l’hiver pendant 6, 8, voire 10 ans?), la lourdeur de la tâche, le calcul problématique de la CI : la négociation de la convention collective n’est pas un bras de fer. Il ne s’agit pas d’une lutte de pouvoir, de gains et de pertes entre deux adversaires. Il s’agit pour nous de notre capacité à durer dans ce métier.

C’est le vœu que nous sommes nombreux à formuler : pouvoir durer.