Pour une dernière fois

Les écrits qui suivent n’engagent que leur autrice, et celle-ci prend la responsabilité de chaque mot, bien pesé.

Je dépose les armes.

Aux portes du 2410 Chemin Sainte-Foy, exsangue, et vaincue.

Moi qui aurais tant souhaité plus pour mes collègues. Plus de reconnaissance, plus d’autonomie professionnelle (mot honni en nos murs s’il en est un), plus de légèreté, aussi.

Au bout de cinq ans, que reste-t-il de mon séjour dans un local rouge vin de fond de sous-sol? La tristesse d’avoir vu des collègues souffrir, avec comme corollaire de cette souffrance désengagement et démotivation. Peut-être un peu d’émotion à l’idée qu’un accompagnement a pu rendre moins pénibles des moments difficiles. De nombreuses désillusions que mon peu de patience pour les changements qui ne viennent pas aurait dû me permettre de prévoir. Une phrase qui résonne dans ma tête : « si vous avez de bonnes idées, on est preneurs ». Pourtant, on les a expliquées doucement nos idées, on les a écrites, on a parfois fini par les crier! Mais elles sont tombées tellement souvent dans les craques de l’image d’un cégep qui ne doit surtout pas donner raison au Syndicat. Le droit de gérance étant plus puissant que tout mon feu intérieur, j’ai péché par orgueil, visiblement.

Cinq ans après, la machine est encore puissante. Elle avale les profs, les avilit. On devient intrinsèquement convaincu que la taxonomie de Bloom va bonifier notre enseignement et que les heures non payées sont un choix personnel. C’est le supplice de la grenouille, l’étouffement à feu doux à coups de demandes administratives, l’aliénation sous le couvert de l’excellence.

Ensuite, on tombe au combat. C’est l’arrêt-maladie qu’on redoute et qui nous fait nous sentir coupables « d’abandonner » nos collègues elles et eux aussi épuisé·e·s. Où on se prend un PVRTT et on est payé à 80 % pour faire 100 % de notre travail. Trouvez l’erreur. Une « auto-protection » nécessaire, car si je ne corrige pas moi-même une charge de travail irréaliste, qui le fera? En attendant, le PVRTT est l’arbre qui cache la forêt des congés latents pour invalidité.

Ceux et celles qui me connaissent savent que je n’abandonne pas très facilement. Malgré la douleur, j’estime encore que la lutte ne doit pas cesser. Je ne dépose pas tout à fait les armes, on dirait.

Idée folle, comme ça…

Et si on disait non? Et si, collectivement, on décidait que c’est assez, que toutes les réunions ne sont pas nécessaires, que toutes les formations ne sont pas pertinentes, que toutes les évaluations ne sont pas indispensables? Et si les départements reprenaient leur autonomie et faisaient leurs propres choix? On pourrait faire un bon ménage, pour se recentrer sur l’enseignement et la relation avec l’étudiant·e, le cœur de notre métier, ce pour quoi nous l’avons choisi. Nous sommes professeur·e·s à l’enseignement supérieur, rien de moins. Ne l’oublions jamais.

Et parce qu’elle lit mes textes (et ne les apprécie pas particulièrement, avouons-le), je profite aujourd’hui de celui-ci pour envoyer ce message à la Direction de mon collège.

La machine dont je parle, c’est très loin de n’être que vous. C’est aussi tout ce qu’il y a au-dessus de vous, qui vous blesse et vous force à extraire tout le jus de vos profs. Car je veux bien croire que ce n’est pas ce que vous souhaitez au fond. Je ne pense pas que vous en êtes heureuses et heureux.

Or vous aussi, vous avez le pouvoir de dire non.

Dire non aux commandes gouvernementales ou à celles de la Fédération des cégeps! Dire non au micromanagement à la mode, tellement toxique pour la santé de vos troupes! Il est temps d’accepter d’avoir une moins bonne note aux yeux de la Fédé et du Ministère pour protéger votre monde, y compris vos gestionnaires, qui tombent comme des mouches! Car malgré toutes nos oppositions, ne pensez pas que je ne suis pas solidaire de ces femmes et de ces hommes qui vivent aussi la perte de sens liée à la gestion par résultats et aux incidences que cela provoque sur leur santé[1].

C’est le temps du ras-le-bol collectif, c’est le temps de passer de la parole aux actes, avec un gros NON comme acte de départ, qu’il soit crié, évoqué doucement ou écrit.

Nous avons le pouvoir. Et nous avons le choix.

Prenons-les.

Amélie-Elsa Ferland-Raymond

[1] En passant, vos conditions de travail sont assez mauvaises, je vous invite à des actions d’éclat pour en obtenir de meilleures!