Éditorial de la présidente sortante 

Il s’en est écoulé du temps depuis que ma collègue Amélie-Elsa m’a tendu la main pour me suggérer de déposer ma candidature au bureau syndical. Je n’étais pas convaincue d’être la bonne personne pour en faire partie. Je me considérais (et me considère toujours) comme une militante, mais modérée, nuancée. J’ai eu besoin, comme malheureusement bien des femmes, que quelqu’un croie en moi et m’encourage à faire preuve d’ambition.  

Voilà 7 ans depuis ce plongeon et, en cette fin de mandat, je ne peux m’empêcher de faire une sorte de bilan de ma vie syndicale. Elle m’a bien sûr énormément apporté sur le plan personnel, mais ce n’est pas d’intérêt public. Ces derniers temps, je réfléchis beaucoup aux périodes récentes que nous avons traversées. Je me permets de vous faire part de mes réflexions personnelles, qui n’engagent que moi, pour vous parler de l’importance d’appuyer votre prochain exécutif. 

Avant de m’engager activement au sein de l’exécutif, j’allais peu aux assemblées générales. Je considérais que d’autres y allaient (les délégués de chaque département, entre autres), des profs avec plus d’expérience. J’avais également confiance que des gens plus expérimentés que moi y prenaient des décisions bien plus éclairées que je n’étais en mesure de le faire.  

C’est probablement une des raisons pour lesquelles j’ai toujours été très bienveillante avec les nombreuses personnes qui m’ont croisée au lendemain d’assemblées générales pour s’excuser de ne pas avoir pu être présent.es en raison de réunions, de corrections en retard, etc. Toutes les raisons sont bonnes, et ce n’est pas ironique du tout. La tâche enseignante est déjà suffisamment lourde comme ça. Les moments des réunions ne sont jamais idéaux. Ce « désolé de ne pas avoir pu participer » était souvent accompagné d’un « mais on a confiance en vous, merci de faire ce que vous faites ». Bien qu’il s’agisse là d’une bien agréable marque de reconnaissance, il faut être prudent. Pendant un temps, je prétendais avec fierté « qu’on tenait le fort pour les collègues », étant libéré.es pour le faire mais, au final, j’ai plutôt l’impression qu’on se tire dans le pied en adhérant à cette vision des choses, autant comme membre que comme exécutif.  

La vie syndicale repose sur une grande valorisation de la démocratie, et le réseau collégial sur la collégialité comme principe décisionnel. Des décisions prises démocratiquement, sur la base de discussions menées en concertation, sont solides, valides et représentatives. Or, sans participation active de la base, les orientations et les décisions seront inévitablement moins représentatives et surtout moins partagées par les acteurs constituant la base. Il est principalement là le problème, et pas seulement en ce qui a trait à la vie syndicale. C’est tout le réseau collégial qui suffoque sous une tâche trop lourde (sans parler des effets du sous-financement des services publics depuis des années) et nous n’arrivons plus à trouver d’espace pour exercer notre collégialité et notre autonomie professionnelle, si chèrement acquises. Dans notre enquête sur la charge enseignante, plusieurs professeur.es étaient d’avis que la décentralisation des programmes opérée dans les années 1990 et 2000, qui a amené les collèges à développer localement les programmes à travers des révisions, des actualisations et des élaborations de programmes, est énergivore. C’est absolument vrai. Pourtant, c’est un des espaces qui devrait nous permettre d’exprimer une forme d’autonomie. Mais il est tout aussi vrai que dans les conditions d’exercice actuelles de la tâche enseignante au collégial, nous n’avons ni les ressources, ni le temps, et encore moins la reconnaissance de la lourdeur de la charge de travail pour pouvoir le faire sans y laisser quelques plumes.  

Mais revenons à nos moutons, c’est-à-dire à la participation à la vie syndicale même si nous sommes tou.tes conscientes et conscients que nous manquons cruellement de temps pour le faire.  

Durant mon passage au SPPCSF, j’ai eu la chance de vivre de l’intérieur deux négociations. La première en pleine pandémie, au cours de laquelle une des seules mobilisations que nous ayons réussi à faire est d’aller livrer des kits du militant ou de la militante, pour que les profs donnent leurs cours en ligne avec un t-shirt, un macaron ou un fond d’écran. C’est un euphémisme d’affirmer que la mobilisation n’a pas été facile. Malgré la relative popularité des assemblées générales en zoom, de soir, nous étions vraiment dans une période où les « merci de ce que vous faites pour nous », « on vous fait confiance », « désolé de ne pas pouvoir en faire plus » étaient fréquents. Même si c’était parfaitement compréhensible, la vie syndicale ne se porte pas bien quand c’est l’exécutif qui doit porter les dossiers au nom de ses membres, en s’imaginant ce qui est le mieux pour le plus grand nombre… surtout en période de négo.  

La négociation de 2023 fut carrément à l’opposé de la précédente. Nul besoin de revenir sur la vigueur de la mobilisation portée par le Front commun. Nous sentions nos membres derrière nous, s’intéressant à la négociation, prenant part aux instances délibératives à chaque nouveau dépôt de cahier de demandes. Nous sommes conscient.es qu’il y a là quelque chose d’historique et peut-être fallait-il s’attendre à un retour à la normale en termes de participation après la négociation. Il y a tout de même, à mon avis, une réflexion collective à mener.  

Cette année, la participation aux assemblées générales m’a surprise, et particulièrement à celles où des décisions importantes devaient être prises (dont celle sur la hausse du taux de cotisation). Nous sommes plus que jamais de retour à la confiance envers l’exécutif et j’oserais dire, à une déresponsabilisation des membres. Je le répète, et à défaut de me faire dire que je parle des deux côtés de la bouche, je sais à quel point tout le monde est surchargé, mais force est de constater que même les délégués syndicaux (censés ramener les informations à leurs départements) ne parviennent pas à se libérer pour participer aux assemblées générales. Même s’il s’agit aussi d’une preuve de la confiance que vous nous accordez, une faible participation peut délégitimer en apparence, dans un monde où tout s’impose par l’image, les décisions prises en instance (à tout le moins du point de vue patronal). Il est important de se doter d’une structure efficace où l’exercice démocratique est mené sans équivoque.   

Si, comme la tendance semble vouloir se dessiner, les négociations s’échelonnent à l’avenir sur cinq ans plutôt que sur trois, à quoi doit-on s’attendre comme vigueur de notre vie syndicale? Doit-on simplement accepter que la mobilisation des membres soit cyclique, au rythme des négos? Je ne le crois pas, je ne le veux pas. Je ne suis pas d’un naturel cynique. 

C’est un jeu qui se joue à deux. Comme exécutif, nous devons être constamment à la recherche de moyens pour rendre les instances participatives dynamiques, efficaces (parce que vous avez autre chose à faire) et accessibles. C’est vers cela que nous avons voulu aller en permettant le comodal pour les assemblées générales. Nous devons aussi continuer à réfléchir à nos structures, à nos façons de faire, mais la solution dépend aussi de vous. Il serait utopique de s’attendre à ce que tou.tes les professeur.es soient présent.es aux assemblées syndicales, mais je vous invite vous aussi à réfléchir à la meilleure façon d’impliquer les membres de votre département, tout en préservant l’énergie de chacun.e. Selon la structure et la composition de votre département, est-ce que la meilleure solution est de désigner une personne (délégué.e syndical.e) qui aurait ensuite un point statutaire à la réunion départementale suivante? Si c’est une charge trop lourde, est-ce qu’une rotation entre deux ou trois personnes serait plus réaliste?  Est-ce que la coordination ou le ou la délégué.e pourrait proposer d’assister à une assemblée syndicale avec les nouveaux professeur.es de son département en début d’année? Le syndicat se déplace même dans les réunions départementales pour discuter de sujets précis (coordination, 173 h, etc.) ou pour ouvrir une discussion avec vous.   

Nous sommes un gros cégep, avec beaucoup de membres. C’est évident que plus nombreux et nombreuses nous sommes à nous partager une responsabilité, plus cette responsabilité risque de n’être assumée par personne. Mais il faut le faire, pour nous, pour la santé de notre vie syndicale, pour votre exécutif, qui travaille extrêmement fort, qui vous représente jour après jour, mais qui ne peut réaliser son travail convenablement sans soutien. Votre exécutif de l’an prochain le mérite grandement. 

Je termine sur une note plus personnelle, en vous disant que ce fut un véritable honneur de vous représenter pendant toutes ces années. Vous n’avez pas idée comme l’appui qu’on peut ressentir d’une masse de gens parvient à nous donner de la « drive ». Je suis fière du travail accompli, du mode de communication instaurée avec la direction qui, je crois, a donné des résultats concluants. Je pense bien sûr à la note sur le télétravail, mais aussi aux gains partiels mais bien présents sur la liberté académique. Le travail est évidemment à poursuivre dans ce dossier, mais nous avons été témoins d’un certain changement de culture au fil des ans.  

Enfin, je suis très fière de tout ce qu’on a pu réaliser en équipe, que l’exécutif ait été composé de Paul-Émile, Amélie-Elsa, Jonathan, Mireille, André, Valérie, Christine, et plus récemment Geneviève, Danny, Germain et Sabrina. Et bien sûr, la dernière et non la moindre, discrète, mais toujours là pour appuyer l’équipe, notre chère Annie, qui est là depuis le début. Ce travail en équipe rapprochée va me manquer. Un énorme merci à chacun et chacune d’entre vous, vous m’avez fait grandir. 

Au plaisir de vous croiser dans les corridors l’an prochain où je serai de retour sur le terrain, avec nos étudiantes et étudiants qui me manquent depuis longtemps.  

Edith