Le ras-le-bol et l’empathie
Deux choses sont terriblement malmenées en ce monde ces derniers mois : l’empathie et les services publics. Et ce n’est probablement pas un hasard si c’est dans les services publics que l’empathie s’exerce. Nos voisins du sud ont décrété que l’empathie était la plus grande faiblesse de l’Occident. Au plus fort, le monde! Et on s’empresse de détruire le filet social, d’expulser les immigrants, de fustiger les wokes, de couper douloureusement dans la fonction publique. Les plus gros grossiront; les plus pauvres s’appauvriront. La formule est trop bien connue.
Chez nous, pour répondre aux bouleversements économiques, ce sont aussi les services publics qui écopent, particulièrement la santé et l’éducation, alors que les besoins vont croissant : plus de cégépiens, mais moins de ressources, plus de bénéficiaires, mais moins de services hospitaliers. À l’échelle de notre cégep, cette austérité budgétaire est bien manifeste.
Toutes les équipes de travail sont à bout. Toutes en ont ras le bol. Les profs subissent un excédent qui se situe entre 13 et 16 ETC, en raison du plafond d’heures. Pourtant, habituellement, on atteint tout juste l’équilibre, et le nombre d’étudiant.es n’est pas à la baisse. Les concierges et manœuvres manquants ne sont pas remplacés en raison du gel d’embauche et du plafond d’heures. En fait, tous les employés qui ne sont pas directement au service à l’élève ne sont pas remplacés. Le même travail doit pourtant se faire chaque semaine. Les profs sont débordés, les cadres sont débordés, ce que souligne le rapport Vivness et que le contexte économique aggrave encore.
On peut vivre quelques semaines, quelques mois sous la pression, mais pas des années. La décennie 2020 a mal commencé. Elle se poursuit avec autant de difficulté. Le plafond d’heures perdurera l’an prochain. Au miracle, nul n’est tenu : les équipes craquent, les cas d’incivilités se multiplient dans tous les corps d’emploi. Et le sentiment de ras-le-bol est fondé, voire normal. C’est pourquoi il faut malgré tout apprendre à se protéger, et apprendre à protéger l’empathie qu’il nous reste.
Dans la mesure du possible, on vous demande de vous replier dès que vous sentez une situation se tendre. Évitez les confrontations, que ce soit au sujet du stationnement, d’un partage des tâches, d’un problème de matériel ou autres. Signalez les situations de tension à votre DA au lieu d’agir en risquant une escalade.
Ce n’est pas facile de garder en tête à quel point tout un chacun est excédé par une accumulation de petites situations épineuses qui, dans un autre contexte, pourraient paraître anecdotiques. Même notre direction l’oublie, lorsqu’elle demande aux professeur.es de joindre par téléphone chaque futur.e étudiant.e du cégep afin d’entretenir le « oui », et ce, après avoir longuement parlé de la surtâche. Le tir a été rectifié depuis, mais ce que nous souhaitons illustrer par ce dernier exemple, c’est à quel point, dans le contexte que nous connaissons, toute décision a sur autrui des impacts que nous ne pouvons plus sous-estimer.
À l’impossible, nul n’est tenu. Nous ne serons pas parfait.es; nous ne réagirons pas toujours parfaitement. Toutefois, en prenant conscience de l’étendue du ras-le-bol présent dans notre communauté, on peut espérer y répondre, majoritairement, par l’empathie (qui demeure la plus grande force de l’Occident).